Le coaching est une approche méthodologique et structurée qui vise à la clarification des buts, et qui répond à une demande d’épanouissement et d’efficacité. Il intègre le champ de la psychologie et par là, théoriquement et idéalement, la science avec sa démarche, ses protocoles, ses paradigmes. Certains modèles et courants appuient la pratique du coaching – comme la programmation neurolinguistique, l’analyse transactionnelle, les types de personnalité et bien d’autres – mais, au fond, qui les remet en question ? Qui coache les modèles censés faire bouger les modèles, les représentations ? Bienvenue dans ce monde étrange où le projet d’un développement des individus et des organisations entre (très) souvent en contradiction avec des points de vue enkystés dans les approches et méthodes d’accompagnement. Nous ne raisonnons que sur des modèles (Paul Valéry). Alors que j’échangeais il y a plusieurs mois avec un coach et formateur, responsable d’un centre de formation qu’il a créé et dont l’enseignement se base sur un modèle de types de personnalité, je fus assez surpris de sa réaction quand je lui exposais une autre grille de lecture (dont je cherchais les éventuels liens avec la sienne), lui précisant bien qu’il ne s’agissait que d’un modèle. « Ah non ! Pour moi, tel type de personnalité ne peut présenter ces caractéristiques ! C’est tel type qui correspond à ce que vous dites ». « Ah oui, très certainement. Bonne journée Monsieur ». Le biais de confirmation, un biais cognitif très courant qui consiste à chercher des éléments qui confirment ses croyances (dit autrement, à faire en sorte que les faits correspondent à la théorie) était malheureusement une nouvelle fois à l’œuvre. Les professionnels de l’accompagnement demeurent soumis aux mêmes biais que les personnes qu’ils coachent, et c’est bien là le cœur du problème : à s’appuyer sur une ou plusieurs grilles, le risque est grand de vouloir faire rentrer les individus dans des cases, du moins à les projeter inconsciemment dans des chemins déjà bien balisés. Comme l’écrit Jean-Louis Le Moigne, nous avons cette fâcheuse tendance à rechercher des problèmes qui répondent au modèle, non des méthodes pour résoudre le problème. Les modèles ne sont alors plus sous-déterminés par les observations (voir cette notion présentée par Henri Atlan) : ce sont les observations qui deviennent sous-déterminées par les modèles. Lors d’une conférence auprès d’une association de coaches, j’avais soulevé ce point par trois questions afin de lancer les débats : Si j’ai fait le choix il y a quelques années de me former à la grille comportementale proposée par l’IME-INC – les travaux de son pôle privé de recherche (vraie valeur ajoutée pour un cabinet de conseil et formation) semblent bien garantir un modèle évolutif, et une humilité réelle et fort appréciable de ses concepteurs – je m’efforce utilement de me dire chaque jour que toutes les grilles sont par essence mauvaises, et que certaines sont simplement moins mauvaises que d’autres, car objet d’évaluations. Certains revendiquent, pourquoi pas d’un air suffisant, la nécessaire et salvatrice forme de neutralité inhérente à la posture de coach, face aux pièges tendus intrinsèquement par les modèles d’accompagnement, ou plutôt ce qu’en fait le cerveau (ces coaches, bien sûr, sont immunisés contre les biais, notamment grâce à leur expérience… qui les fait tomber dans un biais d’excès de confiance). Sauf que cette neutralité n’existe pas, puisqu’il est impossible de dissocier une représentation du monde de ses intentions, c’est-à-dire de ses projections, idée fondamentale validée par les neurosciences : le cerveau est un simulateur (nous comparons sans cesse l’état du monde avec nos prédictions) et non un organe qui reçoit des informations, les traite pour ensuite produire des actions. Les neurosciences qui valident et invalident des hypothèses, la psychologie cognitive qui expose un ensemble de biais conséquent et qui justifie le qualificatif de décideur irrationnel pour l’humain, voilà des données dont ne saurait se passer aujourd’hui, entre autres activités, celle de coach.
La science pour faire bouger les méthodes d’accompagnement ? La structure de la science possède des règles de fonctionnement : des hypothèses sont formulées et testées, des lois et théories sont énoncées (et vont évoluer selon les faits nouveaux), les connaissances scientifiques sont vérifiables (pour cela les travaux de recherche sont reproductibles), le tout sous le contrôle des pairs (experts de la discipline). La démarche scientifique et le coaching se rejoignent ainsi dans cette idée de mise à l’épreuve de sa perception des choses, qui implique une certaine humilité. Les deux viennent se confondre dans cette logique d’attitude… et c’est bien elle qui est sujette à caution. Coaches comme scientifiques sont soumis aux mêmes distorsions que leurs clients et cobayes. William Broad et Nicholas Wade note dans leur célèbre livre La souris truquée que la prétention de la science à représenter un solide corpus de connaissances repose fermement sur l’hypothèse d’objectivité, sur l’affirmation que les scientifiques ne sont pas influencés par leurs préjugés, ou du moins qu’ils en sont protégés par la méthodologie de leur discipline (…) Le mythe selon lequel la science serait un processus purement logique, constamment souligné dans les livres, les articles, les conférences, exerce une influence tyrannique sur la manière dont les scientifiques appréhendent leur activité. Même si les scientifiques ont conscience des éléments irrationnels qui interviennent dans leur activité, ils ont tendance à les refouler, ou du moins à les écarter comme étant de peu de conséquence. On en arrive ainsi à nier l’existence ou l’importance d’un élément majeur du processus scientifique. Ce qui est particulièrement intéressant avec la psychologie (et le fait qu’elle motive mon activité… au-delà du thème de la motivation), avec la percée des neurosciences cognitives qui l’élève au rang de « science dure », est justement qu’elle rend mieux compte aujourd’hui des mécanismes à l’œuvre dans la conception de représentations et modèles, et des comportements rationnels et irrationnels associés. Il n’y a pas alors de champ disciplinaire qui soit censé se regarder autant lui-même que celui de la psychologie, de même – normalement – concernant les individus qui l’étudient et s’y activent. L’apport des neurosciences est en train d’y faire bouger sérieusement les lignes conceptuelles, ce qu’a formulé en substance le brillant Didier Naud dans un post ici sur le blog Comportements & Innovation. Force est donc aussi de constater l’influence de la psychologie auprès d’autres sciences et dans de nombreux domaines, Le Moigne plaçant d’ailleurs les sciences de l’esprit (la noologie) au cœur du système des sciences (schéma ci-après). Le management par exemple, largement imprégné des sciences des organisations, ne peut plus actuellement ignorer les connaissances en psychologie et neurosciences pour comprendre les comportements et les attitudes, non seulement d’un point de vue théorique mais plus sûrement de manière incarnée. Preuves à l’appui, les émotions et le corps ont en effet été réhabilités dans les processus de raisonnement et de décision, aussi les modèles managériaux pseudo-rationnels en « logique froide », prescriptifs et normatifs, sont clairement et définitivement obsolètes. L’économie elle aussi a vu ses concepts chahutés, quand le psychologue Daniel Kahneman – prix Nobel d’économie en 2002 – a montré que nos décisions de consommation n’étaient pas rationnelles (comme envisagé dans la théorie de l’utilité : maximisation de l’écart entre bénéfices et inconvénients escomptés), mais au contraire le plus souvent irrationnelles. Et la psychologie d’exposer, dans le domaine de la santé, les risques de décisions erronées : par exemple dans une étude où des anesthésistes ont été confrontés à des situations simulées d’urgence, on retrouve parmi les erreurs cognitives les plus courantes le biais de confirmation en seconde position (plus de trois fois sur quatre) derrière le diagnostic prématuré (quatre fois sur cinq). Une discipline, un métier, une profession évoluent (ou non) par l’état d’esprit des personnes qui les font. Le coaching n’échappe pas à la règle. Ceci étant, le mentorat n’a pas attendu les procédés d’imagerie cérébrale et les protocoles expérimentaux pour exister et contribuer plus ou moins efficacement à des volontés de développements personnel et professionnel. La science est là pour questionner, évaluer, rendre compte de modes d’action, invalider ou conforter. D’ailleurs les neurosciences cognitives valident la pratique du coaching, au sens de l’intérêt de la fixation des buts via le contrôle attentionnel. Si les neurosciences ne sauraient à elles-seules engendrer et définir une pratique professionnelle du domaine de l’accompagnement (coaching, formation, éducation etc.), il est en revanche difficilement concevable aujourd’hui pour les professionnels du secteur d’ignorer les apports des neurosciences dans les méthodes pédagogiques et d’apprentissage. Le sage Gandhi voit sa pensée désormais scientifiquement appuyée : vous avez beau avoir toutes les aptitudes, si vous n’avez pas l’attitude, vous ne réussirez pas. Si la pratique du coaching se veut honnête et humble car constamment apprenante et évolutive, alors permettons-nous de renverser le titre de ce billet de blog : à part le coaching, qui peut accompagner la science ?
Quand une grille de lecture devient LA grille de lecture
Retrouvez cet article sur le site Comportements & Innovation, www.comportementsetinnovation.com
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